Thème : La MÈRE ("la vieja")

ACTANGO

Thème de la mère – « la vieja » - dans le Tango

 

Le but de cet article est d’illustrer le thème de la mère (« la vieja » en langage populaire, équivalent de notre « vieille »), évoquée dans certaines chansons, parfois de façon subliminale. Dans le contexte de grande pauvreté et de travail difficile où est né et s’est développé le tango, la mère est un personnage central et essentiel par son courage et son amour, ultime repère des laissés pour compte ou des malandrins. Et derrière cette image de la mère pointe l’éloge de la femme, capable de courage et d’amour en toutes circonstances et dans la durée…

Ce thème (peu mis en avant) de la culture tango est illustré ici par des extraits de quelques textes remarquables (avec mes adaptations en français).

 

La casita de mis viejos (1932 – Enrique Cadícamo – Juan Carlos Cobián)

 

L’homme qui revient « vaincu » par la vie à la maison de ses parents, après de très longues années d’errance, d’alcool et d’amères déceptions amoureuses (« las mujeres son siempre las que matan la ilusión » : « ce sont toujours les femmes qui tuent l’espoir »), se retire auprès de sa mère :

 

“Ya nunca más he de partir

y a tu lado he de sentir

el calor de un gran cariño…

Sólo una madre nos perdona en esta vida,

es la única verdad,

es mentira lo demás.”

Je ne m’en irai plus jamais

et près de toi je sentirai

la chaleur d’une grande tendresse…

Seule une mère nous pardonne ici-bas,

c’est l’unique vérité,

le reste est mensonge.

 

 

Ecouter l’interprétation de Julio Sosa 

 

 

El bazar de los juguetes (1954 - Reinaldo Yiso – Roberto Rufino)

 

L’enfant élevé dans la misère reste marqué par la souffrance de cette mère qui n’avait pas le sou pour le pain, encore moins pour les jouets. Devenu riche, il vient acheter tous les jouets de ce magasin, afin de les distribuer aux enfants pauvres du quartier.

 

…..

“Si mi vieja era tan pobre

le faltaba siempre un cobre

para comprarnos el pan.

….

Yo sé lo que es sentirse besado tiernamente

por una pobre madre que no me pudo dar

ni el más humilde y pobre de todos los juguetes

por eso se los compro por eso nada más.”

…..

Car ma vieille était si pauvre

Il lui manquait toujours le sou

Pour nous acheter le pain.

….

Je sais ce qu’est se sentir embrassé tendrement

par une pauvre mère qui ne pouvait pas me donner

même le plus humble et pauvre de tous ces jouets

c’est pour ça que je vous les achète, et seulement pour ça.

 

Ecouter l’interprétation de Alberto Podestá

 

Cafetin de Buenos Aires (1948- Enrique Santos Discépolo - Mariano Mores)

 

L’auteur raconte son “éducation” depuis l’adolescence dans ce bistro de quartier, entouré de je-sais-tout et de suicidaires, bistro qui le fascinait depuis l’enfance, où il lia des amitiés durables, dont le « maigre Abel » qui continue de le guider (à la place de son père ?).

Lieu de référence pour lui, puisque seul le cafetín ressemblait à sa "vieille" …

 

“Cómo olvidarte en esta queja,

cafetín de Buenos Aires,

si sos lo único en la vida

que se pareció a mi vieja...”

 

« Puis-je t’oublier dans ma complainte

Mon vieux bistro de Buenos Aires

Alors que seul toi dans ma vie

A pu ressembler à ma vieille … 

Ecouter l’interprétation de Edmundo Ribero 

 

 

Caserón de tejas (1941- Cátulo Castillo - Sebastian Piana)

 

Évocation nostalgique d’une enfance heureuse dans cette grande maison de Belgrano, époque que l’on veut faire revivre dans les « sons endormis du piano », car la mère disparue le demande depuis l'au-delà.

…..

Viviremos el cuento lejano

que en aquel caserón de Belgrano

venciendo al arcano nos llama mamá...

…..

Revivons cette histoire lointaine,

car dans cette maison de Belgrano,

par-delà les ténèbres maman nous appelle…

 

Ecouter l’interprétation de María Graña 

 

El Choclo (1948 – Catan Marambio & Enrique Santos Discépolo - Angel Villoldo)

 

Hommage au tango qui a permis à une société de s’élever au-dessus de la misère des quartiers, et même de s’exporter à Paris. Le refrain met en avant la mère disparue, que l’émotion du chant et du bandonéon fait revenir sur la pointe des pieds.

Hoy que no tengo más a mi madre,

siento que llega en punta 'e pie para besarme

cuando tu canto nace al son de un bandoneón.

Maintenant que ma mère n’est plus

Je sens qu’elle vient furtivement m’embrasser

Lorsque ton chant naît dans le son du bandonéon.

 

Ecouter l’interprétation de Libertad Lamarque 

 

El corazón al sur (1975 - Eladia Blazquez, paroles et musique)

 

Eladia Blazquez chante ici le souvenir de son enfance heureuse et simple, marquée par un père travailleur comme "une abeille dans la ruche", honnête et bon, puis elle évoque dans le refrain l’ombre de sa mère, façon discrète et néanmoins marquante de la faire vivre dans le souvenir, peut-être symbole de tous ces proches qui ne sont plus.

 

 

Mi barrio fue una planta de jazmín,

la sombra de mi vieja en el jardín,

la dulce fiesta de las cosas más sencillas

y la paz en la gramilla de cara al sol.

 

Quartier je me rappelle ton jasmin

Souvenir de ma mère dans le jardin

La douce joie que donnent les choses les plus simples

Et la paix face au soleil dans l'herbe sèche

 

Ecouter l’interprétation de l’auteure 

 

Milonga de la ganzúa (Raul Gonzalez Tuñon – adaptation et musique de Juan Cedrón)

 

Chanson des monte-en-l’air en tout genre, description de leur totale absence de règles et de scrupules , mais en même temps de leur sensibilité musicale et leur attachement à une seule personne, la mère.

 

……………………………..

“ Aman sobretodo a su madre anciana,

y cuando esta se les muere,

cantan un tango, lloran desconsoladamente

y de las cosas dejadas por la muerta

a repartirse entre los hermanos eligen...

una virgen de plata y el canari.

…………………

 

Ninguna angustia los desgarra,

cada cual vive como quiere,

cuando la madre se les muere

le ponen luto a la guitarra ”

…………………………….

«Ils aiment par-dessus tout leur vielle mère,

et quand elle meurt

ils chantent un tango, pleurent désespérément,

et des objets laissés par la morte

à se répartir entre les frères, ils choisissent…

une vierge en argent et le canari.

……………………

 

Aucune angoisse ne les étreint

Chacun vit comme il veut,

Quand meurt leur mère

Ils mettent en deuil la guitare »

 

Ecouter l’interprétation de Juan Cedrón 

 

Une curiosité pour terminer…

 

Le thème de la mère est présent dans beaucoup de cultures populaires et folklores musicaux.

Un clin d’œil ici au très connu « Yiddish Mame », hymne à la mère, dans une belle version tango en russe : https://www.youtube.com/watch?v=vftYsKOG4vo

 

© Léon Lévy-Bencheton 2017

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